lundi 26 juillet 2021

L’Armée du crime

 

  ****

L’Armée du crime (2009) de Robert Guédiguian

 En 1942, Missiak Manouchian devient chef d’un réseau de résistance composé exclusivement de jeunes Juifs d’origine hongroise, polonaise ou roumaine. Certains ont fait partie des brigades internationales aux côtés des Républicains pendant la guerre d’Espagne.

Mais ces jeunes gens, habitués aux actions isolées, se plient mal aux contraintes de l’armée secrète qu’est en train de devenir la Résistance.

Pendant ce temps, la police française procède aux arrestations, pratique la torture et organise les rafles de Juifs pour la plus grande satisfaction de l’occupant nazi.

En 1975, Frank Cassenti tournait L’Affiche rouge, évocation « brechtienne » de l’arrestation et de l’exécution des membres du réseau Manouchian à qui Aragon, dans un poème célèbre, et Léo Ferré, dans la chanson qu’il fit de ce poème, rendirent hommage. C’est pourquoi Cassenti reprenait le titre du poème et de la chanson. « L’affiche rouge » était alors le symbole d’un héroïsme reconnu et, par voie de conséquence, d’une respectabilité posthume.

Pour parler à son tour du réseau Manouchian et des « F.T.P.-M.O.I. » (Franc-Tireurs Partisans - Main d’Œuvre Immigrée), Robert Guédiguian se sert, lui, de la terminologie vichyste qui s’étalait complaisamment sur l’affiche en question : l’armée du crime.

Est-ce vraiment un hasard si ce film est sorti l’année où on commençait à parler de plus en plus et de plus en plus fort d’identité nationale ? Manouchian, Grzywacz, Elek et les autres n’avaient pas d’identité, ou tout au moins, ils n’en avaient plus puisque « la patrie des droits de l’homme » les avait rendus apatrides (comme il est question de déchoir de leur nationalité française certains individus « indésirables » pour l’actuel chef de l’état ![1]) et s’apprêtait à les livrer à leurs bourreaux. Et l’ironie fut que ces 23 « métèques » firent partie de ceux qui, par leurs actions « terroristes », tentèrent de racheter le déshonneur d’un pays et de ses dirigeants qui les rejetaient et qui reçurent, pour certains, une légion d’honneur qu’ils eurent l’indécence d’accepter, l’échine ployée juste comme il faut et avec laquelle on alla jusqu’à enterrer un « préfet de la République », ignoble salopard condamné à la prison à vie pour complicité de crime contre l’humanité commis dans les années 40 du côté de Bordeaux et qui récidiva vingt ans plus tard alors que l’air du temps avait fait remplacer les bons vieux pogroms par des ratonnades qui se terminaient par des « noyés par balle ».

Evidemment quand on voit le film de Guédiguian, on pense à deux films : L’Affiche rouge de Cassenti, déjà cité, et L’Armée des ombres de Melville. Mais Guédiguian évite les deux principaux défauts des deux films en question : son film est réaliste sans aucune « distanciation brechtienne » qui, mal maîtrisée, affaiblit très souvent le message et il n’a pas pour autant le côté ronflant avec trémolos à la Malraux du Melville, défaut un peu hérité de l’œuvre originale de Kessel.

On peut remarquer dans la bouche d’un gestapiste une phrase qui, pour nous, évoque une « personnalité » (aujourd’hui disparu) de la cinquième République : « Il faut terroriser les terroristes. »

La mise en scène de Guédiguian est juste, efficace, le scénario nous fait passer du spectacle à suspense à la grandeur d’une tragédie et les interprètes, surtout les jeunes, sont remarquables : après l’avoir vu si bon dans L’Armée du crime, on se demande comment Grégoire Leprince-Ringuet peut-être aussi mauvais dans La Princesse de Montpensier.

Enfin, la reconstitution d’époque, pierre d’achoppement de beaucoup de films français, est remarquable et constitue une des grandes réussites du film.

Le souffle romanesque, le suspense haletant et une reconstitution soignée, ce sont des endroits où on n’attendait pas Guédiguian.

Et on avait bien tort !



[1] Note rédigée en 2010

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire