samedi 4 juin 2022

The Servant

 

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The Servant (1963) de Joseph Losey


Hugo Barrett, domestique stylé, est engagé par Tony, un jeune aristocrate qui est persuadé être un libéral aux idées très avancées. Il s’agit en réalité d’un jeune oisif aisé qui vit encore selon les canons victoriens, mais dans un style plus « décadent ».

Barrett, lui, cache sous la défroque d’un authentique « butler » l’âme d’un voyou hypocrite qui, une fois dans la place, a tôt fait de faire engager sa maîtresse Vera qu’il fait passer pour sa sœur. De plus, il s’est auparavant arrangé pour éloigner Susan, la fiancée de Tony, à qui il voue une haine d’ailleurs réciproque.

Il demande à Tony de lui accorder une journée de congé pour qu’il puisse aller, avec Vera, voir leur mère malade. Tony passe donc la soirée dehors et a la surprise de trouver Vera seule dans la maison à son retour. Elle prétend avoir eu un malaise à la gare et avoir jugé plus prudent de ne pas faire le voyage. Naturellement, elle profite de l’absence d’Hugo pour séduire Tony.

« C’est l’histoire d’un petit maître qui vit toujours au 18ème siècle […] et qui ne veut ou ne peut accomplir le saut vers le 20ème. C’est l’histoire d’une maisonnée qu’il voudrait faire marcher comme au temps de sa mère, grâce à un domestique qui ferait lui aussi partie des « chères vieilles choses » […] En fait, on pourrait appeler ce film “ La Servitude sous toutes ses formes ” ».

Et c’est exactement ce qu’on voit. « Normal ! » direz-vous ? Pas tant que ça ! Car si les réalisateurs sont volontiers diserts, c’est souvent que leurs films ne sont pas à même de nous faire savoir ce qu’ils nous expliquent. Ici, les propos cités de Losey sont un peu pléonastiques, car c’est bien « la servitude sous toutes ses formes » que cet extraordinaire film illustre.

The Servant est une double réussite : celle de Losey et celle d’Harold Pinter qui inaugure ici sa collaboration avec le cinéaste américain, émigré pour cause de chasse aux sorcières, collaboration qui se poursuivra avec Accident et le très beau Messager qui leur vaudra une Palme d’or largement méritée (ce qui n’est pas toujours le cas) en 1971 à Cannes.

La servitude est plus que le thème principal du film, il en est le thème unique. Tony possède Barrett puisqu’il le paie ; Barrett possède Tony par « accoutumance ». Barrett possède Vera, mais Tony possèdera Vera puisqu’il la rendra amoureuse, du moins le croit-il. Et il sera « possédé » par les deux, mais dans l’autre acception du terme.

Quant à la pauvre Susan, jeune aristocrate arrogante, elle ne possèdera personne à force de vouloir posséder tout le monde.

Pinter a la réputation d’être un maître du non-dit. Ici, ce n’est pas le non-dit qui règne, c’est le paradoxe du discours : celui (ou celle) qui donne les ordres exhibe une autorité très exactement inversement proportionnelle à son autorité réelle, ou mieux, exactement proportionnelle à sa servitude vis-à-vis de celui qui est censé recevoir et obéir à ses ordres.

Et puis, il y a l’homosexualité. Susan saura que Tony n’est pas pour elle quand elle le verra effondré dans son escalier, effondré par la trahison d’Hugo, mais surtout écrasé par la nudité de ce domestique qui le domine de l’étage supérieur. En 1963, on ne « parlait pas de ces choses-là » comme on pourrait le faire maintenant, ces choses qui pouvaient vous mener en prison au Royaume-Uni et ce, jusqu’en 1982. Et c’est tant mieux dans le cas présent. L’allusion a ici une force extraordinaire qui a son équivalent dans le dernier quart du film, lorsqu’Hugo et Tony semblent former un vieux couple pour qui Vera n’est plus qu’un prétexte, un prétexte à la domination et à la servitude. Tout se retrouve !

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