vendredi 31 juillet 2020

Le Fleuve sauvage


Le Fleuve sauvage - Film (1960) - SensCritique ***
Wild River (Le Fleuve sauvage) d’Elia Kazan (1960)
Les crues fréquentes du Mississipi obligent les autorités des états qu’il traverse à réaliser d’importants travaux pour prévenir ces crues.
Chuck Glover est ingénieur pour la Tennessee Valley Authority qui l’envoie négocier auprès de leurs propriétaires les terres qui vont être inondées après la construction d’un barrage en aval dans une petite ville.
Tous les propriétaires ont accepté l’expropriation sauf Ella Garth, propriétaire d’une petite île au milieu du fleuve, qui ne veut pas quitter sa maison. Elle a le soutien inconditionnel de ses trois fils, de sa petite fille et des paysans qui travaillent pour elle.
Avant Chuck, beaucoup d’autres représentants de la Tennessee Valley Authority ont essuyé le refus de la vieille dame. Chuck espère passer un accord.
Même si on a réévalué ce film récemment, on continue à le considérer comme plutôt inférieur à La Fièvre dans le sang.
Personnellement, j’aurais plutôt tendance à préférer le silence buté et le mépris altier de Jo Van Fleet et le flegmatisme gêné de Monty Clift aux crises d’hystérie de Natalie Wood et au charme d’endive de l’inexpressif et joli Warren Beatty.
L’ingénieur Glover pénètre dans un monde qui lui est étranger et on pense au Délivrance de John Boorman.
Et puis, la présence de la fabuleuse Jo Van Fleet nous renvoie à un autre film de Kazan, A l’est d’Eden où elle interprétait la sulfureuse Kate, mère des deux fils d’Adam Trask qui leur cachait l’existence de cette mère, propriétaire et gérante d’une « maison de tolérance ».
Sa maison, ici, est une de ces vieilles baraques en bois du 19ème siècle, assez délabrée, mais à laquelle la vieille dame inflexible voue un culte immodéré qu’on voue à une maison dans laquelle on est né et qui appartient depuis des années à votre famille.
Cette maison, c’est toute la vie d’Ella et peu lui importe qu’elle entrave le progrès, même si ce progrès signifie la fin des crues pour toute la région.
C’est tout cela le film de Kazan qui prend fait et cause (comme Chuck Glover, son héros) pour la vieille dame, mais sait bien qu’on ne peut lutter contre l’inéluctable.
Lee Remick joue un peu les utilités dans un rôle qui eut mérité d’être plus étoffé.
Et puis, il y a l’autre sujet, le vrai sujet qui dresse les entrepreneurs de la région contre l’ingénieur : il fait payer les ouvriers noirs de ses chantiers au même tarif que les blancs.
Au bout du compte, il est un peu dommage que ce sujet-là ait été occulté par l’histoire d’Ella. Mais il n’était peut-être pas possible, en 1960, dans un film se passant dans un état du sud de parler très librement de ce sujet.
C’est un peu dommage, mais ce n’est pas essentiel et ça n’empêche pas Le Fleuve sauvage d’être un très beau film.
Comme tous les films en scope de l’époque, le scope a été voulu dès le départ et la restauration que nous voyons maintenant nous restitue la fabuleuse photographie d’Ellsworth Fredericks.
Montgomery Clift, Jo Van Fleet et Lee Remick forment un trio idéal entourés, pour tous les seconds rôles, de comédiens hors pair dont la merveilleuse Barbara Loden, compagne de Kazan à l’époque qui réalisera, en 1970, ce qui est devenu un classique, Wanda et qui mourra prématurément en 1980 à l’âge de 48 ans.

jeudi 30 juillet 2020

Le Gouffre aux chimères


Ace in the Hole (Le Gouffre aux chimères) de Billy Wilder (1951)
 Chuck Tatum se fait engager par le journal d’Albuquerque dirigé par le très honnête Jacob Q. Boot.
Journaliste marron (comme on parle d’avocat marron) sans le moindre scrupule, il s’est fait renvoyé d’un nombre incalculable de journaux et il est unanimement détesté dans la profession. Mais il rapporte beaucoup d’argent.
Lorsqu’il apprend que la galerie d’une mine du Nouveau Mexique s’est écroulé et qu’un mineur, Leo Minosa, est resté coincé en-dessous, il se fait envoyer par le journal pour couvrir l’évènement.
Il va faire en sorte de transformer ce fait divers en attraction dont il sera le seul bénéficiaire et va réussir à faire choisir la méthode de sauvetage la plus longue qui lui permettra de faire durer sa gloire le plus longtemps possible alors que, pour Minosa, les chances de survie s’amenuisent d’heure en heure.
Réalisé entre le célébrissime Boulevard du Crépuscule et Stalag 17, Le Gouffre aux chimères ne fait pas partie des œuvres les plus prestigieuses du réalisateur de Fedora et de Certains l’aiment chaud.
Réputé pour sa causticité qui peut très facilement virer au cynisme le plus noir, Billy Wilder aurait dû être à l’aise avec ce sujet, auquel nous aurions dû, nous, spectateurs contemporains, d’autant plus adhérer que les faits dénoncés dans ce film de 1951 sont quasiment notre pain quotidien plus de soixante ans plus tard.
Mais très curieusement, on met beaucoup de temps à se rallier à cette histoire qui, dans sa partie centrale, semble beaucoup patiner.
Heureusement, le film trouve son rythme de croisière dans la deuxième partie, mais c’est le revirement de Tatum et ses états d’âme qui font franchement « fabriqués » auxquels on assiste sans trop y croire.
Kirk Douglas, très bien entouré, est parfait, comme d’habitude. On citera aussi Ray Teal (le shérif), Porter Hall (le patron intègre du journal d’Albuquerque) et Bob Arthur (Herbie) également excellents. Mais la vraie découverte, c’est Jan Sterling, une sorte de double de la Barbara Stanwyck d’Assurance sur la mort dont elle a l’animalité, mais dont elle n’aura pas la prestigieuse carrière. On la verra dans pas mal de séries télé jusque dans les années 80.
Le Gouffre aux chimères est un film sur les dérives de la médiatisation, mais s’il ne parvient pas à nous passionner, c’est peut-être parce que nous avons vu bien pire depuis 1951 et que nous voyons bien pire tous les jours depuis quelques années.

mercredi 29 juillet 2020

Dark Waters


Achat Dark Waters en DVD - AlloCiné ***
Dry Run (Dark Waters) de Todd Haynes (2019)
Robert Bilott est avocat au sein du cabinet Taft de Cincinatti qui s’est spécialisé dans la défense des entreprises de l’industrie chimique au premier rang desquels la célébrissime DuPont de Nemours.
Bilott reçoit la visite de Willem Tennant, un fermier de Parkersburg (Virginie Occidentale) dont la ferme jouxte un site d’enfouissement appartenant à DuPont.
Le troupeau de vaches de Tennant a été décimé par une étrange maladie apporté par la pollution des eaux du site DuPont. Bilott accepte malgré les réticences de son cabinet de prendre l’affaire qui l’amène très rapidement à s’intéresser au PFOA, un produit qui rentre dans la fabrication d’une matière antiadhésive commercialisée sous le nom de « Teflon ».
Dark Waters est un film-dossier américain-type. Dans un film-dossier, on a un message à faire passer : c’est l’idée de base !
Même si on peut s’y permettre quelques « coquetteries » de réalisation, on n’y fait pas les pieds au mur avec la caméra, sauf nécessité absolue qui irait dans le sens de la thèse adoptée.
Le scénario est tiré d’un article de Nathaniel Rich, L’avocat qui devint le pire cauchemar de DuPont, parus dans le New-York Time Magazine qui intéressa Mark Ruffalo, interprète du rôle de Bilott et coproducteur du film.
« Tout le monde parle d’avoir un meilleur futur. DuPont réinvente le présent », c’est la profession de foi qui figure en exergue du site français de la société qui, un peu plus loin, dans un numéro grotesque d’autocongratulation, parle d’un « assainissement de l’eau » que DuPont pratiquerait, ce qu’on peut voir, au regard de ce que raconte Dark Waters, avec une certaine ironie douloureuse, surtout lorsque DuPont conclut cette profession de foi en disant « Chez DuPont, nous travaillons à rendre le monde plus sûr, plus sain et plus agréable ».
Quand j’étais petit, il y avait un slogan publicitaire qu’on entendait beaucoup : « Chez Dupont, tout est bon ! ». Mais il s’agissait d’une chaine de brasserie, aujourd’hui défunte. Ici, on peut se demander si on ne pourrait pas reprendre le slogan en : « Chez DuPont, rien n’est bon ! »
Le casting « mené » par le producteur Mark Ruffalo est d’une grande efficacité, comme toujours dans ce genre très précis qu’est le film-dossier : Anne Hathaway (Sarah, l’épouse de l’avocat), Tim Robbins (Tom Terp, le patron de Bilott qu’il va défendre envers et contre tous), Bill Camp (Wilbur Tennant, le fermier qui éveille la conscience de Bilott) et Victor Garber (Phil Donnelly, le « méchant » patron de DuPont) sont parfaits. Mentionnons également le non-professionnel (et pour cause !) William « Bucky » Bailey, né handicapé physique à cause des sinistres tripatouillages de DuPont et qui interprète son propre rôle.
Les films-dossier peuvent indifféremment se terminer bien ou mal, étant souvent adaptés de faits réels qui, eux-mêmes, se sont terminés bien ou mal.
Tout le talent de la mise en scène ici, on l’aura compris, c’est de présenter sa thèse et de la défendre. Et ça, les Américains le font très bien…