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Agora (2008) d’Alejandro Amenabar
A Alexandrie en 391, trois religions se côtoient dans la plus grande tolérance : le polythéisme égyptien, la religion juive et son « héritière », la secte des Chrétiens, tolérée depuis peu, mais dont les prétentions hégémonistes provoquent les craintes des Egyptiens.
Dès lors, les deux religions s’observent et se provoquent. Mais les Chrétiens, par leur nombre (les nombreux esclaves sont majoritairement chrétiens) et par l’efficacité de leurs « parabolants » emportent la partie et oblige le préfet de Rome, officiellement maître de l’Egypte, à ne plus laisser aux païens que la bibliothèque d’Alexandrie, lieu mythique d’un savoir millénaire. D’autant que l’empereur Constantin vient de se convertir au christianisme.
C’est là qu’Hypatie, fille de Théon, enseigne la philosophie et l’astronomie aux jeunes « patriciens » des trois religions dont Oreste, un jeune romain, et Synesius qui est chrétien. Elle est assistée par son esclave Davus, à la fois disciple et amoureux de sa belle maîtresse.
Mais Davus, comme tous les esclaves d’Egypte, se laisse embrigader par la propagande des parabolants.
Première qualité du film : nous faire découvrir cette époque mal connue qui correspond à la fois au déclin de l’empire romain et à la montée irrémédiable de l’hégémonisme chrétien.
En France, on connaît cette période par le roman qu’Anatole France publia en 1890, Thaïs, et surtout par l’opéra que Jules Massenet en tira quatre ans plus tard sur un livret de Louis Gallet. Dans cet opéra, le personnage principal Nathanaël, un cénobite illuminé, s’adresse à sa ville natale Alexandrie en ces termes : « Pour ta science, pour ta beauté, je te hais ! ».
Dans cette « éructation mystique », on a tout le film d’Amenabar. La religion, opium du peuple, paravent des pires calculs politiques, prétexte aux plus sanglants massacres de l’histoire, des croisades aux actuels « troubles » (c’est ainsi qu’on qualifie les génocides africains en Occident) dans certains pays d’Afrique sub-saharienne.
Hypatie est tout ce que vomit l’obscurantisme en général et la secte des chrétiens en particulier, à travers leur « bras armé », les Parabolants : elle est femme (donc un ventre), savante (donc sorcière, elle sera qualifiée ainsi par quelques obscurs exégètes du Moyen-Âge) et célibataire acharnée (donc putain).
Le seul soutien qu’elle gardera est celui d’Oreste, le Romain, païen converti au christianisme pour des raisons politiques, les mêmes raisons qui l’obligeront, finalement, à abandonner Hypatie aux tortionnaires de la religion dont les trois vertus cardinales sont la foi, l’espérance et la charité, celle qui enseigne que Dieu est amour.
Le film, très grand succès en Espagne, a été fraîchement accueilli à Cannes et sa sortie en France a attiré des critiques qui vont de la simple moue dubitative au franchement rigolard. J’ai même entendu un imbécile qui vit de la critique cinématographique se gausser : « Lorsque j’ai vu Michael Lonsdale en peplum et cothurnes, j’ai eu l’impression de revoir Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ » : le pauvre type voulait sans doute être particulièrement méchant en choisissant ce film de Jean Yanne, particulièrement vilipendé par la critique, car Michael Lonsdale ne fait pas partie de sa distribution, pourtant nombreuse.
Bien sûr, la musique hollywoodienne à l’excès est un peu trop présente, bien sûr les comédiens Max Minghella et Oscar Isaac sont de bien piètres partenaires pour la superbe Rachel Weisz (mais peut-être sont-ce les personnages de Davus et Oreste qui ne sont pas à la hauteur d’Hypatie).
Mais il faut bien considérer que ce « péplum pensant » (ce qu’on lui a clairement reproché) est une sorte d’OVNI dans un monde cinématographique relativement consensuel. C’est un film cher, qui parle beaucoup, qui pense énormément et où on nous rappelle que notre belle civilisation chrétienne a pu tenir le haut du pavé grâce à une « charia » qui a causé quelques morts. Est-ce à cause de tout cela que nos critiques hexagonaux ont fait la moue alors que le public français boudait franchement ce film, décidément atypique ?
Au niveau de l’interprétation, si les deux principaux rôles masculins sont sans intérêt, il n’en va pas de même pour les « méchants » : Sami Samir, ce Cyrille d’Alexandrie cauteleux, intrigant, faux diplomate, mais vrai arriviste et plus fourbe qu’un mollah iranien, et surtout Ashraf Barhom, Ammonius le parabolant, salafiste avant la lettre et fasciste religieux hystérique et sectaire dont Cyril se servira au-delà de sa mort puisqu’il en fera un martyr.
Rachel Weisz, Sami Samir et Ashraf Barhom sont à l’unisson d’Amenabar dans ce film superbe, méprisé et méconnu qui, n’en doutons pas, sera fortement réévalué d’ici peu de temps, ne serait-ce que pour la scène cauchemardesque du sac de la bibliothèque d’Alexandrie qui vit la destruction d’un savoir millénaire par les fous de dieu d’alors… les chrétiens.
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