jeudi 15 octobre 2020

L’Œuvre sans auteur

 

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Werk ohne Autor (L’Œuvre sans auteur)

de Florian Henckel Von Donnersmark (2018)

A Dresde en 1937, le jeune Kurt Barnet, âgé de six ans, visite avec sa jeune tante Elisabeth l’exposition sur « l’art dégénéré », une exposition itinérante organisée par le parti nazi et censée dénoncer la dégénérescence de l’art moderne.

Mais Elisabeth, vénérée par son neveu, présente des signes de troubles psychiques et, malgré l’opposition de la famille, elle est internée.

Et les malades mentaux sont pour « la race des maîtres » des « vies inutiles ».

Après la guerre, le père de Kurt qui avait refusé d’adhérer pendant longtemps au parti nazi mais s’était vu contraint de le faire, se retrouve déclassé de nouveau, mais par les Soviétiques, cette fois, et ils ne lui rendront jamais son poste de professeur.

Dans les mêmes années, le professeur Seeband, médecin nazi, parvient, lui, à rester un notable au sein de la R.D.A. à naître.

Kurt Barnet devient peintre « officiel » du régime et l’un de représentants du « réalisme socialiste » qui, comme les nazis, conspue l’art moderne.

Le très (justement) fêté La Vie des autres avait pour sujet central la R.D.A. et la Stasi et le personnage « qu’on voulait détruire » était ministre de la Culture.

Ici, il est encore question de politique, de culture et… de destruction. Mais pas tout-à-fait dans les mêmes termes : l’art est au centre du film, mais la dimension politique est la structure du film, son « châssis » pour filer la métaphore picturale.

Mais si La Vie des autres se référait exclusivement à la R.D.A., ici, on se réfère plus au régime précédent, l’abominable « Dritte Reich » et à son idéologie répugnante.

Et cette idéologie, accompagnée de ses fantasmes grotesques conditionne toute l’histoire de Kurt et du couple qu’il forme avec Elly.

Seeland, médecin nazi faisant partie du « programme d’élimination des vies inutiles », c’est-à-dire dans un classement de l’horreur, venant immédiatement derrière la Shoah, est l’exact contraire de Kurt et de son père. Seeland, authentique nazi, horriblement efficace deviendra un ponte en R.D.A., puis en R.F.A., ce qui lui permettra de courber servilement l’échine devant trois pouvoirs aux idéologies opposées, larve immonde qui exige qu’on lui donne du « Herr Professor », imbus de sa personne comme le sont souvent les larves ! Il restera cependant toujours fondamentalement nazi, allant jusqu’à avorter sa propre fille qui aurait conçu son enfant avec un « dégénéré ».

Johann Barnett, qui refuse d’adhérer au parti nazi jusqu’en 1940, sera obligé de faire allégeance, ce que les Soviétiques vont lui reprocher tout en assurant le confort et l’avenir du nazi Seeland. Après avoir perdu son poste de professeur jusqu’en 1940, il va donc le reperdre en 1945 et se retrouve « homme de ménage », comme son fils Kurt, plus tard en R.F.A., un emploi que lui a trouvé… Seeland.

Ici, comme souvent, les Seeland du monde entier se tirent toujours de tout et dominent de leur médiocrité, le talent des Barnett, même si, ici, c’est Kurt qui finira par gagner.

Car Kurt, fort de « l’héritage » de sa tante au destin tragique (il ne faisait pas bon être diagnostiqué schizophrène en Allemagne en 1937) finira par trouver sa voie artistique à travers cette « Œuvre sans auteur » qui lui fera vaincre tous les Seeland du monde.

« L’œuvre sans auteur », c’était ce que disaient les critiques de l’œuvre du peintre Gerhard Richter qui sert de modèle au personnage de Kurt Barnet et dont les critiques en question estimaient que son œuvre « n’avait pas de point de vue ». C’est donc cette expression que Florian Henckel Von Donnersmarck a retenu comme titre de son film.

Deux détails nous restent longtemps après la projection. Le premier, effroyable et probablement historiquement vrai qu’on avait déjà vu dans Amen de Costa-Gavras, ce sont les deux croix tracées au crayon rouge au bas des fiches des malades mentaux « à éliminer ».

Le deuxième, c’est le grand moment lyrique des klaxons qui « enveloppe » le film au tout début, puis à la fin.

Le casting est à la hauteur de ce très beau film : Tom Schilling est Kurt, Sebastian Koch, victime dans La Vie des autres, est ici le bourreau Seeland et on peut signaler aussi Olivier Masucci dans le rôle de Antonius Von Verten, le peintre-professeur qui va guider Kurt, et le tout jeune Cai Cohrs dans le rôle de Kurt à six ans. Je n’oublierai certainement pas Saskia Rosendahl dans le rôle de tante Elisabeth et Paula Beer dans le rôle d’Ellie. On est impressionné par l’habileté avec laquelle le réalisateur joue sur une certaine ressemblance physique entre les deux Elisabeth, une ressemblance qui n’est pas fortuite puisqu’elle va troubler le héros, comme si Ellie, fille du bourreau prenait le relais d’Elisabeth, victime du bourreau qu’elle appelle papa lorsqu’il la fait « disparaître ».

Mais il reste un mystère : pourquoi avoir sorti ce film en deux parties distinctes. Serait-ce pour vendre deux billets au lieu d’un ?

On (n’) ose y croire !

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