vendredi 14 janvier 2022

Sils Maria

 

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Clouds of Sils Maria (Sils Maria) d’Olivier Assayas (2013)

 Avant de reprendre la pièce qui l’a rendue célèbre, la comédienne Maria Enders se rend à Sils Maria pour voir Wilhelm Melchior, auteur de la pièce en question refusant les honneurs et à qui Maria doit donner un trophée qu’elle va recevoir pour lui, à Zurich, entretemps.

La pièce s’appelle Le Serpent de Maloja. Elle raconte comment une jeune femme, Sigrid, va détruire et pousser au suicide Helena, une femme mûre.

A l’âge de 18 ans, Maria a débuté sous la direction de Melchior lui-même dans le rôle de Sigrid qu’elle a incarnée également dans l’adaptation cinématographique que le dramaturge lui-même a tournée.

A présent, elle doit reprendre le rôle d’Helena.

Mais dans le train qui l’emmène à Zurich, Valentine, l’assistante de Maria, apprend à cette dernière le décès de Melchior.

C’est avant tout une mise en abime, un jeu de miroir, qui oppose neuf femmes incarnées par cinq femmes.

Il y a, tout d’abord, la grande disparue, celle dont on nous parle, mais qu’on ne voit pas, comme dans les films de Mankiewicz (Addie Ross[1], Sebastien Venable[2]…), c’est la Sigrid qu’a incarnée Maria Enders jeune, ce personnage après lequel elle court pour trouver « son » Helena.

Il y a la Sigrid de Valentine, un peu « l’ombre » de la précédente : elle comprend (trop) Helena, car elle la comprend comme la comprendrait Maria si elle jouait Sigrid aujourd’hui. Valentine-Sigrid fait une sorte d’analyse de celle qui n’est plus Sigrid, Maria Enders.

Enfin, il y a la troisième Sigrid, celle de Jo-Ann Ellis. Elle n’a aucune bienveillance envers la « Sigrid des origines », celle que dorlote Valentine-Sigrid.

Elle a encore moins de bienveillance vis-à-vis d’Helena, l’autre femme qui fut (probablement, car on ne connaît pas la pièce de Melchior) une autre Sigrid mais qui est pour cette nouvelle Sigrid-Jo-Ann Ellis, une femme « has been » dont plus personne n’a rien à faire.

Et au-delà de ces personnages qui sont dans la fiction de la fiction (la pièce de Melchior), il y a les vrais personnages.

Maria Enders, actrice. Elle fut la première Sigrid. Elle en fut peut-être une inspiratrice, à moins que ce ne soit elle qui soit devenue Sigrid par amour pour Melchior qu’elle a aimé et dont elle fut (peut-être ? - Elle refuse de répondre lorsque Valentine l’interroge) la maîtresse.

Valentine, assistante de Maria : bien plus qu’une secrétaire, elle est dame de compagnie, protectrice, imprésario et conscience de l’actrice. Elle est également, accessoirement chauffeur. Bien qu’elle joue le rôle de Sigrid dans les répétitions avec Maria, elle disparaîtra comme (à ce qu’on comprend de la pièce) le personnage d’Helena.

Jo-Ann Ellis, c’est la petite actrice à la mode, une sorte de Paris-Hilton en plus intelligente, mais en tout aussi outrecuidante et totalement décidée à marcher quoi qu’il arrive, sur tous et toutes. Arriviste à tout prix, elle peut détruire (comme l’épouse de son amant) juste pour arriver à ses fins, sans haine et sans états d’âme : « Rien de personnel ! » comme disent ce genre de personnes.

Enfin, il y a Rosa Melchior, la veuve du dramaturge, personnage qu’on ne voit que (trop) peu. A-t-elle jamais connu la liaison de son mari avec Maria si cette liaison a bien existé ? Probablement ! Et même s’il n’y a pas eu liaison, mais amour platonique, elle le sait, comme elle sait que ce doit être un « dommage collatéral » dans un processus de création. Elle aussi est bienveillante à l’égard de Maria (et de ses personnages, la Sigrid d’hier ou l’Helena d’aujourd’hui).

A ces neuf femmes on pourrait ajouter l’épouse de Christopher Giles, l’amant de Jo-Ann. Comme Helena dans la pièce, et comme Maria dans la vie, Jo-Ann l’élimine sans haine, juste parce qu’elle l’embarrasse.

Evidemment, les hommes ne sont que des accessoires très déterminants (on pense à Women de George Cukor) : Henryk Wald qui revendique le rôle d’héritier de Melchior ce qu’il n’est pas, Klaus Dierterweg, le metteur en scène qui, de ce fait, revendique également l’héritage de Melchior, Christopher Giles, l’écrivain, le but actuel poursuivi par Jo-Ann et, naturellement, Melchior lui-même, décédé au tout début du film.

Angela Winkler joue les « guest stars » dans le rôle de Rosa Melchior et Chloe Grace Moritz passe, avec bonheur, de son personnage de gourdiflotte dans le lamentable remake de Carrie à celui d’une Eve Harrington (All About Eve) moderne, peut-être un peu moins garce (et encore... à peine !) et au sourire assassin.

Kirsten Stewart poursuit avec brio une carrière « post-Twilight » où elle parvient sans effort à faire oublier la série « ado » qui l’a fait connaître. Son partenaire fallot, l’endive Pattinson n’a pas eu cette chance !!!

Elles sont toutes les trois assez fabuleuses, mais ma grande découverte (Eh oui, je bats ma coulpe, ce fut une découverte !) c’est Juliette Binoche, fine, intelligente, drôle et bouleversante dans le personnage de Maria. Il faut dire que le personnage, c’est un peu du platine incrusté de diamant.

Assayas dirige tout ça avec une apparente désinvolture et une fausse légèreté d’une maestria redoutable.

J’allais oublier un autre « personnage » important, le « personnage éponyme » Sils Maria et son corollaire, également éponyme mais de la pièce, « Le Serpent de Maloja » (dans lequel « disparaît » Valentine) qu’Assayas a le goût exquis de filmer en scope et en couleur, en des plans similaires à ceux du court métrage de 14 minutes qu’Arnold Franck réalisa en 1934 et dont nous voyons quelques images au début du film, un serpent de nuages qui emporte les passions, les personnages (Valentine) et le temps qui passe.

Il est presque dommage que le film ne porte pas le même titre que la pièce.



[1] Chaines conjugales (1949) de Joseph L. Mankiewicz

[2] Soudain l’été dernier (1959) de Joseph L. Mankiewicz

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