dimanche 23 août 2020

Les Adieux à la reine


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Les Adieux à la reine (2011) de Benoît Jacquot
 Sidonie Laborde est, sous la haute direction de madame Campan, lectrice de la reine Marie-Antoinette. De plus, Sidonie se doit d’être la première à se présenter le matin puisqu’elle est la détentrice de la « pendule de monsieur Janvier ».
A côté de ces femmes « besogneuses », issues du peuple et tenues de travailler tout le temps, il y a Marie-Antoinette, reine futile, capricieuse et désormais haïe par le peuple comme est haïe, encore bien plus, la favorite de la reine avec qui elle entretient des « relations troubles », Gabrielle de Polignac, facilement qualifiée de « putain de la reine ».
Mais le bel ordonnancement de ce monde en déliquescence pourrait bien s’écrouler bientôt, car nous sommes au matin du 14 juillet 1789…
On imagine assez couramment que les évènements qui firent la Révolution Française eurent lieu de façon graduellement régulière en une pente inexorable dont la base serait cette fameuse prise de la Bastille qui reste pour nous l’emblème de cette révolution et de son corollaire, la République, et le sommet le 10 thermidor de l’an Deux (28 juillet 1794) qui vit la fin de Robespierre, de Saint-Just, des Jacobins et de la Terreur.
La Révolution française dura donc cinq ans, presque jour pour jour. Mais ces cinq années n’ont pas été une suite régulière et métronomique d’évènements. On parle souvent de « soubresauts de l’Histoire » : ce n’est pas pour rien !
Tous les évènements qui ont émaillé ce qui fut et reste le plus grand cataclysme de l’histoire de notre pays, ont eu lieu de façon très soudaine et se sont déroulés très rapidement et très violemment. Après quoi, suivit une période plus stable, sans évènement particulier, plus ou moins calme et plus ou moins longue.
Le premier évènement, c’est cette fameuse prise de la Bastille du 14 juillet 1789 dont le film de Benoît Jacquot souligne l’aspect profondément cataclysmique qu’il eut, pas uniquement, comme on le pense quelquefois d’un point de vue psychologique et/ou symbolique, mais également (et c’est plus évident) dans ses aspects prosaïques les plus sordides, comme la petite bonne qui s’enfuit avec la « mythique pendule de monsieur Janvier » ou madame de Rochereuil qui réussit à se faire virer après avoir été prise en flagrant délit de « vol de lingerie » dans les armoires de la Reine.
Aucun de nous n’était dans les couloirs de Versailles par ce beau jour d’été, mais, et ce n’est pas le moindre des mérites de ce film, on est pratiquement sûr que ça s’est passé comme ça : que les « dépendances » où on entassait les « loufiats » étaient moches poussiéreuses et déjà en ruine, alors que le château de Versailles n’avait guère plus d’un siècle « d’utilisation » et d’histoire, qu’il a plu à torrent le 15 juillet 1789 et que le personnel « très privé » de la reine a pris la fuite dès le 16 juillet.
Bien sûr, comme toujours chez Benoît Jacquot, il y a des petites affèteries cinématographiques agaçantes, mais cette fois-ci, il n’y en a pas trop. En fait, il y a la scène un peu interminable entre la reine et Gabrielle de Polignac : cette scène est peut-être le gros défaut du film.
Pour le reste, nous sommes dans l’adaptation d’un roman historique (de Chantal Thomas) et non dans un film qui se réclamerait d’une rigueur historique absolue.
La fuite de Gabrielle de Polignac « à la demande de la reine » certes, mais que la favorite exécute avec un empressement suspect, la place d’emblée dans le rôle que lui avait donné les émeutiers et le peuple, celui de « putain de la reine », arriviste, lâche et calculatrice.
Il paraît que, loin des rapports saphistes entre les deux femmes (qui semblent avoir été inventés par les ennemis révolutionnaires de « L’Autrichienne », comme furent inventés les pseudo-attouchements de la reine vis-à-vis de son fils), Gabrielle et Marie-Antoinette furent d’authentiques amies. Atteinte d’un cancer (comme Marie-Antoinette, du reste), Gabrielle de Polignac se laissa dépérir lorsqu’elle apprit la mort de Marie-Antoinette et elle mourut deux mois plus tard, en décembre 1793.
Mais peu importe ! Lorsque l’histoire est belle et forte, il est moins important que l’Histoire (avec un grand H) ne soit pas absolument respectée. Comme disait Alexandre Dumas : « On peut violer l'histoire à condition de lui faire de beaux enfants ! »
Si on oublie les personnages historiques, nous avons une souveraine qui va lâchement sacrifier une jeune femme qui l’idolâtre pour sauver une amie qui l’a trahie. Une belle histoire remarquablement écrite, filmée et interprétée.
Sidonie Laborde est un personnage totalement fictif, Marie-Antoinette, grande lectrice elle-même, n’ayant jamais eu de lectrice. Qui plus est, ce personnage était, dans le roman de Chantal Thomas, une exilée à Vienne (la ville où mourut Gabrielle de Polignac) racontant ses souvenirs en « flashes-back ».
Dans le film, c’est une jeune femme, « groupie » de Marie-Antoinette (c’est ainsi que la définit Benoît Jacquot) qui sera prête au sacrifice pour son idole.
A ce niveau, la reine si distinguée, grande héroïne romantique que Jacquot nous présente au début du film, se retrouve ravalée à l’image négative que l’histoire nous a transmise, celle d’une écervelée sans scrupule, d’une femme capricieuse, sans aucune consistance.
Mais Sidonie Laborde conclut tout de même : « Bientôt, je serai loin de Versailles. Bientôt, je ne serai plus personne ! ». On notera au passage qu’elle ne dit pas : « Bientôt, je serai loin de la reine ! » ; elle est « fan » de Marie-Antoinette, mais jusqu’à un certain point. C’est un statut social inespéré, qu’elle va perdre. Elle est plus pragmatique que sentimentale.
Benoît Jacquot réussit tout : les portraits, l’esthétique, l’argument et, peut-être plus que tout, l’interprétation.
Cinéaste de femmes, il se soucie peu de ces personnages masculins d’ailleurs très épisodiques et très secondaires : le comte de Provence, futur Louis XVIII (Gregory Gatebois) et le comte d’Artois, futur Charles X (Francis Leplay) sont entr’aperçus. Vladimir Consigny dans le rôle du faux Italien Paolo est très mauvais. Et Xavier Beauvois est à peine mieux dans le rôle de Louis XVI, bien qu’il ait réussi à incarner un roi loin du balourd un peu couillon auquel on nous a habitué.
Seul Jacques Herlin en marquis de Vaucouleurs et Jacques Boudet (Monsieur de la Tour du Pin) sauvent l’honneur des seconds rôles masculins.
Enfin, il y a le grand Michel Robin, superbe Moreau (chroniqueur de la cour).
Voilà pour les messieurs.
Pour les dames, c’est plus simple : il y a grand chelem au niveau du casting !
Dominique Reymond (Madame de Rochereuil), Anne Benoît (Rose Bertin), Lolita Chammah (Louison) et Martine Chevallier (Madame de la Tour du Pin) sont de fabuleux seconds rôles, de ceux dont on regrette qu’ils soient si courts. On voit un peu plus (et c’est heureux !) Julie-Marie Parmentier dans le rôle d’Honorine.
Mais les grands moments, c’est au quatuor de tête qu’on le doit.
Léa Seydoux d’abord, avec son côté gauche, fragile, en gamine butée, ira jusqu’au bout de sa dévotion.
Virginie Ledoyen est une très belle Gabrielle de Polignac, arriviste plus bourgeoise qu’aristocrate dont Jacquot donne un portrait assez proche de ce que devait penser le peuple qui la haïssait. C’est aussi le portrait que nous en fait Sidonie Laborde à travers les yeux de qui l’histoire nous est contée, les yeux d’une jeune fille jalouse.
Diane Kruger, enfin, plus belle que ne le fut jamais Marie-Antoinette (il faut dire que les canons de la beauté n’étaient pas les mêmes), a l’âge du rôle et même l’accent du rôle puisque la comédienne est allemande. A travers elle, Benoît Jacquot dresse le portrait d’une femme fragile et attachante qui saura se transformer en garce capricieuse et manipulatrice vis-à-vis de la pauvre Sidonie.
Enfin, il y a, je l’avoue, ma préférée : Noémie Lvovsky en madame Campan. Malgré sa position de « chef », elle n’est qu’un loufiat comme les autres. Mais contrairement aux autres, elle le sait et elle ne le perd jamais de vue. Elle semble transparente, mais a toujours l’air de cacher des mystères. C’est en cela que le réalisateur a choisi la seule actrice qui pouvait jouer ce rôle aussi parfaitement.
Car, c’est ça la force de Noémie Lvovsky : le mystère. Elle en mettait déjà en mère-maquerelle dans L’Apollonide. Elle réussissait même à en mettre dans le rôle de « Tante Monique » dans Le Skylab de Julie Delpy.
Et madame Campan est un personnage énigmatique comme toutes ces domestiques dont, finalement, on ne sait rien, très souvent parce qu’« on » n’a jamais pris la peine de s’y intéresser.
On pense un peu à La Règle du jeu ou aux Vestiges du jour, ces œuvres qui nous fascinaient avec ces personnages ancillaires, fascinés eux-mêmes par leurs maîtres, mais paradoxalement, si lucides dans le même temps.
Et tout en s’y attachant, Benoît Jacquot nous montre ce monde nécrosé qui ne va pas tarder à mourir, alors qu’on ne voit ni le peuple, ni la guillotine et tout juste une cocarde sur le chapeau d’un officier.
Un grand film.

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