Les Adieux à la reine (2011) de Benoît Jacquot
Sidonie Laborde est, sous la
haute direction de madame Campan, lectrice de la reine Marie-Antoinette. De
plus, Sidonie se doit d’être la première à se présenter le matin puisqu’elle
est la détentrice de la « pendule de monsieur Janvier ».
A côté de ces femmes « besogneuses »,
issues du peuple et tenues de travailler tout le temps, il y a
Marie-Antoinette, reine futile, capricieuse et désormais haïe par le peuple
comme est haïe, encore bien plus, la favorite de la reine avec qui elle
entretient des « relations troubles », Gabrielle de Polignac,
facilement qualifiée de « putain de la reine ».
Mais le bel ordonnancement de ce monde en déliquescence pourrait bien
s’écrouler bientôt, car nous sommes au matin du 14 juillet 1789…
On imagine assez couramment
que les évènements qui firent la Révolution Française eurent lieu de façon
graduellement régulière en une pente inexorable dont la base serait cette
fameuse prise de la Bastille qui reste pour nous l’emblème de cette révolution
et de son corollaire, la République, et le sommet le 10 thermidor de l’an Deux
(28 juillet 1794) qui vit la fin de Robespierre, de Saint-Just, des Jacobins et
de la Terreur.
La Révolution
française dura donc cinq ans, presque jour pour jour. Mais ces cinq années
n’ont pas été une suite régulière et métronomique d’évènements. On parle
souvent de « soubresauts de l’Histoire » : ce n’est pas pour
rien !
Tous les
évènements qui ont émaillé ce qui fut et reste le plus grand cataclysme de
l’histoire de notre pays, ont eu lieu de façon très soudaine et se sont
déroulés très rapidement et très violemment. Après quoi, suivit une période
plus stable, sans évènement particulier, plus ou moins calme et plus ou moins
longue.
Le premier
évènement, c’est cette fameuse prise de la Bastille du 14 juillet 1789 dont le
film de Benoît Jacquot souligne l’aspect profondément cataclysmique qu’il eut,
pas uniquement, comme on le pense quelquefois d’un point de vue psychologique
et/ou symbolique, mais également (et c’est plus évident) dans ses aspects
prosaïques les plus sordides, comme la petite bonne qui s’enfuit avec la « mythique pendule de monsieur
Janvier » ou madame de Rochereuil qui réussit à se faire virer après
avoir été prise en flagrant délit de « vol de lingerie » dans les
armoires de la Reine.
Aucun de nous
n’était dans les couloirs de Versailles par ce beau jour d’été, mais, et ce
n’est pas le moindre des mérites de ce film, on est pratiquement sûr que ça
s’est passé comme ça : que les « dépendances » où on entassait
les « loufiats » étaient moches poussiéreuses et déjà en ruine, alors
que le château de Versailles n’avait guère plus d’un siècle « d’utilisation »
et d’histoire, qu’il a plu à torrent le 15 juillet 1789 et que le personnel
« très privé » de la reine a pris la fuite dès le 16 juillet.
Bien sûr,
comme toujours chez Benoît Jacquot, il y a des petites affèteries
cinématographiques agaçantes, mais cette fois-ci, il n’y en a pas trop. En
fait, il y a la scène un peu interminable entre la reine et Gabrielle de
Polignac : cette scène est peut-être le gros défaut du film.
Pour le
reste, nous sommes dans l’adaptation d’un roman historique (de Chantal Thomas)
et non dans un film qui se réclamerait d’une rigueur historique absolue.
La fuite de
Gabrielle de Polignac « à la demande
de la reine » certes, mais que la favorite exécute avec un
empressement suspect, la place d’emblée dans le rôle que lui avait donné les
émeutiers et le peuple, celui de « putain
de la reine », arriviste, lâche et calculatrice.
Il paraît
que, loin des rapports saphistes entre les deux femmes (qui semblent avoir été
inventés par les ennemis révolutionnaires de « L’Autrichienne », comme furent inventés les
pseudo-attouchements de la reine vis-à-vis de son fils), Gabrielle et Marie-Antoinette
furent d’authentiques amies. Atteinte d’un cancer (comme Marie-Antoinette, du
reste), Gabrielle de Polignac se laissa dépérir lorsqu’elle apprit la mort de
Marie-Antoinette et elle mourut deux mois plus tard, en décembre 1793.
Mais peu
importe ! Lorsque l’histoire est belle et forte, il est moins important
que l’Histoire (avec un grand H) ne soit pas absolument respectée. Comme disait
Alexandre Dumas : « On peut violer l'histoire à
condition de lui faire de beaux enfants ! »
Si on oublie
les personnages historiques, nous avons une souveraine qui va lâchement
sacrifier une jeune femme qui l’idolâtre pour sauver une amie qui l’a trahie.
Une belle histoire remarquablement écrite, filmée et interprétée.
Sidonie
Laborde est un personnage totalement fictif, Marie-Antoinette, grande lectrice
elle-même, n’ayant jamais eu de lectrice. Qui plus est, ce personnage était,
dans le roman de Chantal Thomas, une exilée à Vienne (la ville où mourut
Gabrielle de Polignac) racontant ses souvenirs en « flashes-back ».
Dans le film,
c’est une jeune femme, « groupie » de Marie-Antoinette (c’est ainsi
que la définit Benoît Jacquot) qui sera prête au sacrifice pour son idole.
A ce niveau,
la reine si distinguée, grande héroïne romantique que Jacquot nous présente au
début du film, se retrouve ravalée à l’image négative que l’histoire nous a
transmise, celle d’une écervelée sans scrupule, d’une femme capricieuse, sans
aucune consistance.
Mais Sidonie
Laborde conclut tout de même : « Bientôt,
je serai loin de Versailles. Bientôt, je ne serai plus personne ! ».
On notera au passage qu’elle ne dit pas : « Bientôt, je serai loin de la reine ! » ; elle
est « fan » de Marie-Antoinette, mais jusqu’à un certain point. C’est
un statut social inespéré, qu’elle va perdre. Elle est plus pragmatique que
sentimentale.
Benoît
Jacquot réussit tout : les portraits, l’esthétique, l’argument et,
peut-être plus que tout, l’interprétation.
Cinéaste de
femmes, il se soucie peu de ces personnages masculins d’ailleurs très
épisodiques et très secondaires : le comte de Provence, futur Louis XVIII
(Gregory Gatebois) et le comte d’Artois, futur Charles X (Francis Leplay) sont
entr’aperçus. Vladimir Consigny dans le rôle du faux Italien Paolo est très
mauvais. Et Xavier Beauvois est à peine mieux dans le rôle de Louis XVI, bien qu’il
ait réussi à incarner un roi loin du balourd un peu couillon auquel on nous a
habitué.
Seul Jacques
Herlin en marquis de Vaucouleurs et Jacques Boudet (Monsieur de la Tour du Pin)
sauvent l’honneur des seconds rôles masculins.
Enfin, il y a
le grand Michel Robin, superbe Moreau (chroniqueur de la cour).
Voilà pour
les messieurs.
Pour les dames,
c’est plus simple : il y a grand chelem au niveau du casting !
Dominique
Reymond (Madame de Rochereuil), Anne Benoît (Rose Bertin), Lolita Chammah
(Louison) et Martine Chevallier (Madame de la Tour du Pin) sont de fabuleux
seconds rôles, de ceux dont on regrette qu’ils soient si courts. On voit un peu
plus (et c’est heureux !) Julie-Marie Parmentier dans le rôle d’Honorine.
Mais les
grands moments, c’est au quatuor de tête qu’on le doit.
Léa Seydoux
d’abord, avec son côté gauche, fragile, en gamine butée, ira jusqu’au bout de
sa dévotion.
Virginie
Ledoyen est une très belle Gabrielle de Polignac, arriviste plus bourgeoise
qu’aristocrate dont Jacquot donne un portrait assez proche de ce que devait
penser le peuple qui la haïssait. C’est aussi le portrait que nous en fait
Sidonie Laborde à travers les yeux de qui l’histoire nous est contée, les yeux
d’une jeune fille jalouse.
Diane Kruger,
enfin, plus belle que ne le fut jamais Marie-Antoinette (il faut dire que les
canons de la beauté n’étaient pas les mêmes), a l’âge du rôle et même l’accent
du rôle puisque la comédienne est allemande. A travers elle, Benoît Jacquot
dresse le portrait d’une femme fragile et attachante qui saura se transformer
en garce capricieuse et manipulatrice vis-à-vis de la pauvre Sidonie.
Enfin, il y
a, je l’avoue, ma préférée : Noémie Lvovsky en madame Campan. Malgré sa
position de « chef », elle n’est qu’un loufiat comme les autres. Mais
contrairement aux autres, elle le sait et elle ne le perd jamais de vue. Elle
semble transparente, mais a toujours l’air de cacher des mystères. C’est en cela
que le réalisateur a choisi la seule actrice qui pouvait jouer ce rôle aussi
parfaitement.
Car, c’est ça
la force de Noémie Lvovsky : le mystère. Elle en mettait déjà en
mère-maquerelle dans L’Apollonide. Elle réussissait même à en
mettre dans le rôle de « Tante Monique » dans Le Skylab de Julie Delpy.
Et madame
Campan est un personnage énigmatique comme toutes ces domestiques dont, finalement,
on ne sait rien, très souvent parce qu’« on » n’a jamais pris la
peine de s’y intéresser.
On pense un
peu à La Règle du jeu ou aux Vestiges du jour, ces œuvres qui nous fascinaient avec ces
personnages ancillaires, fascinés eux-mêmes par leurs maîtres, mais
paradoxalement, si lucides dans le même temps.
Et tout en
s’y attachant, Benoît Jacquot nous montre ce monde nécrosé qui ne va pas tarder
à mourir, alors qu’on ne voit ni le peuple, ni la guillotine et tout juste une
cocarde sur le chapeau d’un officier.
Un grand
film.
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