samedi 31 octobre 2020

Welcome in Vienna 1 – Dieu ne croit plus en nous

 

****

Wohin und Zurück 1 – An uns glaubt Gott nicht mehr

(Welcome in Vienna 1 – Dieu ne croit plus en nous) d’Axel corti (1982)

 La nuit du 9 au 10 novembre 1938, dans l’Autriche « annexée » par l’Anschluss au Reich allemand, éclate, comme dans toute l’Allemagne, la nuit de cristal : les magasins appartenant à des Juifs sont mis à sac par la population « en colère », suite à l’exécution d’Ernst Von Rath, troisième secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne à Paris par un jeune Juif.

Le père de Ferdinand Tobler (dit Ferry) est « suicidé » et Ferry, dépouillé de tout par un gendarme « qui a juste voulu l’aider », est contraint de fuir le pays.

Il se retrouve à Prague avec Gandhi, un Allemand anti-nazi qui s’est évadé de Dachau. Ils font la connaissance d’Alena. Mais l’avancée des troupes nazies les contraint à fuir vers la France.

Pendant la drôle de guerre, ils sont internés en tant que citoyens allemands au camp de Saint-Just-en-Chaussée.

Un jeune homme se réfugie dans ce qui semble être une cave. On entend du bruit, des cris, du verre qu’on brise au-dessus. C’est la nuit de cristal.

Le jeune homme regarde discrètement par un soupirail dans une cour où de jeunes SS font faire « de la gymnastique » à des hommes plutôt âgés. L’un d’entre eux tombe, il est frappé par un SS.

C’est la première scène du film. C’est également la scène qu’a réellement vécu le scénariste Georg S. Troller. C’était lui le jeune homme juif dans la cave, lui qui découvrira son père mort (suicidé) le lendemain, qui devra fuir l’Allemagne vers la Tchécoslovaquie, puis vers Paris, puis vers Marseille devant l’avance qui semble inexorable des troupes allemandes.

Le premier volet de cette superbe trilogie est le plus mouvementé. Les personnages ont à peine le temps de penser, ils courent pour sauver leur peau. C’est tout ce qu’ils peuvent faire.

Le deuxième volet (Santa Fe) sera le plus statique et sans doute le plus riche psychologiquement.

Le troisième volet (Welcome in Vienna) jouera la carte de la politique, de l’histoire. Ce sera le plus cynique et le plus désabusé.

Dans chacun des épisodes, c’est quelqu’un qui a connu ce que les nazis avaient créé de pire, les camps de concentration, qui nous ramènera dans ce « grand Reich » que la fuite, puis l’exil et enfin la victoire pourraient nous faire oublier : Gandhi, évadé de Dachau, madame Marmorek, libérée miraculeusement de Ravensbrück, et Stodola, rescapé de Mauthausen.

Ce qui frappe également, c’est qu’à part le héros, ou plutôt, les deux héros, avatars du jeune Georg Troller, c'est-à-dire Ferry Toller et Freddy Wolf, seul l’Américain non juif (et même antisémite) d’origine allemande, Binder, passera d’un film à l’autre, en l’occurrence du deuxième au troisième.

Car la fatalité fait que les compagnons de route des deux héros de la trilogie devront être abandonné au cours de la narration.

On imagine Ferry Toller ayant connu une enfance confortable et douillette au milieu d’une famille unie n’ayant aucun problème d’ordre matériel : son père est propriétaire d’une boutique de confection en plein centre de Vienne.

Mais, dés le début de ce premier épisode, tout change. Ferry se retrouve seul et se fait voler tout ce qu’il a, soit par « confiscation », soit par escroquerie de particuliers qui veulent « aider » le jeune homme, principalement à se débarrasser du peu qui lui reste. Et lui doit encore les remercier !

Naïf et intègre, il ira jusqu’à refuser de passer 1500 dollars à la frontière austro-tchécoslovaque.

Tout ce qui lui reste, c’est sa vie, comme pour ses compagnons de route, son ami Gandhi et son amie et future maîtresse Alena qui disparaîtront dans la tourmente.

Traité dans un superbe noir et blanc, avec un grain dû probablement au tournage en 16 mm, mais qui leur permet aussi de se « fondre » avec les stock-shots, ces trois films sont un admirable document sur une époque et sur des faits dont on avait qu’une vision « abstraite ».

Lorsqu’un Juif allemand ou autrichien racontait qu’il avait fui le nazisme, on n’avait pas toujours conscience de ce qu’était cette fuite et, surtout, de son caractère perpétuel. Je  pense que c’était ainsi que, cyniquement, les nazis les considéraient, tout au moins dans la première phase d’élimination des Juifs, l’émigration : le mythe du Juif errant, condamné  à marcher sans jamais s’arrêter.

Le style très dépouillé de Corti et le noir et blanc donnent à ce document (et à ses deux suites) un aspect quasi-documentaire que vient encore renforcer l’élégance et la perfection d’une interprétation superbe, sans aucun effet, sans cabotinage et, surtout, sans « couverture tirée » : Johannes Silberschneider (Ferry), Barbara Petritsch (Alena), le grand Armin Mueller Stahl (Gandhi) et tous les autres.