dimanche 15 janvier 2023

Los Olvidados

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Los Olvidados (Pitié pour eux) de Luis Buñuel (1950)


Dans un quartier pauvre de Mexico, un petit paysan que son père a abandonné sur le marché est « adopté » par un aveugle. Les gamins du quartier, livrés à eux-mêmes, ont formé une bande dont le chef « El Jaibo », un petit voyou un peu plus âgé que les autres, s’est échappé de prison.

Jaibo tue Julian qu’il accuse de l’avoir dénoncé. Le seul témoin est Pedro. Pedro est l’aîné d’une nombreuse famille. Leur mère doit travailler dur pour les nourrir et elle n’a le temps ni de s’occuper d’eux, ni même de les aimer.

Pedro essaie de trouver du travail pour plaire à sa mère qu’il adore. Mais elle n’aime pas son fils.

La seule affection que connaissent les gamins du quartier, ils la trouvent dans l’amitié de la jeune et jolie Meche dont le frère est éperdu d’admiration pour Jaibo. Celui-ci, mauvais, sournois, hypocrite et lâche, se méfie de Pedro, seul témoin du meurtre de Julian.

En dehors des différents hommages et distinctions que ce film obtint à juste titre, il convient de lui décerner la palme peu enviable du titre français le plus idiot qui soit : Pitié pour eux n’est pas seulement une crétinerie, c’est surtout un contresens et une trahison. Quelle pitié ? Et pour qui ? Certainement pas celle de Buñuel pour ces « oubliés ». Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre original, le film n’est pas moralisateur : c’est juste un constat. Il donne à voir, mais ne donne pas de leçon.

Le seul discours moralisateur est donné par l’aveugle. Encore est-ce une morale qu’on pourrait classer dans la catégorie des « Y’a plus qu’à… Y faut qu’on… », chère au populisme et à la démagogie, ferment malsain de tous les fascismes.

Aucune « pause » ne vient ici « aérer » le constat. Si les premiers plans évoquent les grandes villes modernes, les milieux aisés de ces capitales sont délibérément gommés et totalement absents du reste du film.

De ce fait, Los Olvidados est juste et désespéré, car aucune ouverture n’est donnée à ces « oubliés » qui ne passeront leurs vies qu’à survivre puisque rien d’autre que cette existence de zonard n’existe pour eux.

Le « méchant » Jaibo est remarquablement campé par Roberto Cobo, danseur de son état qui parle faux. De cette maladresse, Buñuel tire un effet saisissant : ce voyou n’en apparaît que plus lâche et sa démarche chaloupée le rend à la fois plus inquiétant, plus décalé et, au bout du compte, plus pitoyable. Il est ce qu’il est parce qu’on ne lui a pas appris à être autre chose. La compréhension et la compassion sont des sentiments de nantis difficiles à éprouver par un gosse des rues que la prison a endurci un peu plus. « On » (un « on » complètement absent du film) en a fait un prédateur. Sa seule morale, c’est la survie à n’importe quel prix et sa seule politique, c’est le jusqu’au-boutisme. On retrouve les mêmes principes chez la mère de Pedro et ce n’est pas pour rien qu’elle est attirée par lui. Pedro est le seul à avoir la possibilité de s’en sortir, ainsi que la jeune Meche, présentée comme une madone blanche qui vit sur un tas d’ordures.

Mais Jaibo ne laissera pas Pedro lui échapper et avoir la chance que lui-même n’a jamais eue et Meche la pure aidera son grand-père à se débarrasser du cadavre de Pedro. Seule ouverture possible, le destin de « Petits Yeux », le petit paysan, qui cherchera à retrouver le père qui l’avait abandonné sur le marché, mais Buñuel n’y croit pas et nous non plus.

C’est la figure emblématique et haïssable de l’aveugle[1] qui « lâchera » la morale détestable de ce chef d’œuvre désespéré : « Si on pouvait les tuer tous avant qu’ils naissent ! »

Il ne semble pas inutile de rappeler que le film reçut le « Prix de la meilleure réalisation » et le « Prix de la critique internationale » au Festival de Cannes 1951, histoire de signaler aux cinéphiles et aux critiques de 2001 qui ont tendance à penser le contraire, que la manifestation la plus mondaine du cinéma mondial pouvait déjà, il y a cinquante ans, couronner des films sans paillettes.



[1] Buñuel, de son aveu même, détestait les aveugles.

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