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Terraferma (2011) d’Emanuele Crialese
Sur la petite île de Linosa, dans la province d’Agrigente en Sicile, les habitants vivaient de la pêche, mais comme dit l’un des pêcheurs : « Il n’y a plus de poissons dans la mer, il n’y a plus que des êtres humains, le plus souvent morts ! »
Ernesto continue de pêcher sur le vieux rafiot de son fils décédé quelques années auparavant. Le vieil homme est aidé par son petit fils Filippo.
Son autre fils, Nino, le pousse à abandonner la pêche et la veuve de son fils aîné refait sa propre maison pour la louer à des touristes.
Mais les petites îles de « l’archipel sicilien » ont toutes le même problème devenu endémique, comme l’île de Lampedusa, c’est l’arrivée massive et fréquente de barcasses pleines à craquer de clandestins africains qui ont fui la misère, la guerre et la maladie de leurs pays.
Un jour, Ernesto et Filippo, pour « obéir aux lois de la mer » (qui oblige tout un chacun à venir en aide à toute personne en perdition), repêchent Sara, une jeune Ethiopienne enceinte et son fils Omar.
Elle a mis deux ans à traverser l’Afrique pour atterrir dans les geôles libyennes où elle a été violée devant son fils. La petite fille qu’elle va mettre au monde est le fruit de ce viol. Sara voudrait rejoindre son mari qui travaille à Turin.
Le « Printemps arabe » de l’année 2011 a mis en lumière un fait tragique tant au niveau humanitaire qu’au niveau géopolitique : l’espace Schengen est bien loin d’être imperméable, comme le soulignent tous les populistes proto-fascistes dont certains sont au pouvoir en France.
Toute la droite française, depuis des années, répète à l’envi la moitié d’une phrase prononcé par Michel Rocard lorsqu’il était premier ministre : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde… » Et là s’arrête la citation qu’utilise la droite. Mais la deuxième partie de la phrase est rarement citée[1] : « … mais elle doit en prendre sa part ! ».
Evidemment, pour les pêcheurs siciliens, le problème ne se pose pas en ces termes : en fait de misère, ils ont bien assez de la leur (même si ça n’a rien de comparable avec des populations entières condamnées à émigrer ou à mourir).
La misère des pêcheurs, l’attrait de l’argent facile apporté par le tourisme et l’arrivée de clandestins font un mélange explosif et ça, le film le montre impeccablement.
Et c’est la première arrivée de clandestins qui marque, en fait, le vrai démarrage du film.
Car la première demi-heure est on ne peut plus poussive. Elle ne nous apprend pas grand-chose, si ce n’est que la pêche en Sicile est un métier complètement sinistré et qu’il faut se lancer dans le tourisme. A ce moment, il n’est pas encore question des clandestins. Il n’est question que de ce vieux con d’Ernesto et de son petit fils Filippo et de leur accent de bouseux siciliens. En plus d’être sicilien, le post-adolescent Filippo semble assez lourdement taré à tel point qu’on se demande si Filippo Pucillo, son interprète, est réellement comme ça ou s’il est simplement bon comédien !
Autre taré du film, et là, c’est le personnage, Nino, l’oncle de Filippo qui ne vit que de tourisme et qui est prêt à se faire un maximum d’argent même s’il doit pour cela désobéir à la règle de base de tout marin : on ne peut pas laisser quelqu’un en perdition sur la mer.
L’arrivée de Sara, l’Ethiopienne, de son fils et, très tôt de la petite fille qui vient de naître font décoller le film qui devient vraiment ce qu’il doit être : le plaidoyer sans pathos de ceux qui refusent les règles imbéciles édictées par les nervis du Parti Populaire Européen qui ont décidé une bonne fois pour toutes que l’Europe devait être une zone de croissance quitte à tourner le dos aux règles les plus élémentaires de l’humanisme vis-à-vis de pays qui n’étaient déjà pas très riches et que le système colonial vicieux des Européens a durablement appauvri, ce que certains tarés de chez nous – et non des moindres ! – appellent « les apports positifs de la colonisation ».
La beauté émouvante et le grand talent de Timnit T dans le rôle presque muet de Sara (la jeune femme parle très peu et très mal l’italien) font partie des très grands atouts du film.
L’autre atout, c’est le rôle de la mer. Pourvoyeuse de poissons pour les pêcheurs, elle est source de plaisir pour les touristes et de mort pour les clandestins. Les uns comme les autres se jettent dans la mer : les clandestins pour être repêchés, les touristes « pour le fun » (c’est l’affiche du film).
Les grands personnages du film, ce sont les deux femmes : Sara, déjà mentionnée, et Giulietta, la bru d’Ernesto et la mère de Filippo, cette femme simple, mais pas simplette, qui va s’attacher à Sara qui, elle-même, donnera le nom de Giulietta à sa petite fille. La belle et talentueuse Donatella Finocchiaro est Giulietta.
Un film simple, réalisé sobrement, mais avec un peu de recherche au niveau de l’esthétique (ce que d’aucuns lui ont reproché) et interprété solidement qui raconte une tragédie humaine de tous les instants, notre refus devant la misère du monde « de prendre notre part ».
[1] Je dois à la vérité de dire que cette deuxième partie de phrase est quand même de plus en plus cité, mais c’est souvent pour mettre en avant un principe « de gauche » qui permet de faire passer un message « de droite » !
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