samedi 28 janvier 2023

Les Quatre cavaliers de l’apocalypse (Minnelli)

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The Four Horsemen of the Apocalypse (Les Quatre cavaliers de l’apocalypse)

de Vincente Minnelli (1961)

En Argentine, le vieux Madariaga fait la fête avec son petit-fils préféré Julio.

Madariaga a quatre petits-fils et une petite fille de ses deux filles : Louisa est mariée à Marcelo qui est français et ils ont un fils, Julio, et une fille, Chi-chi et Helena est l’épouse de Karl qui est allemand et avec qui elle a eu trois fils Heinrich, Gustav et Franz.

Nous sommes en 1938 et Heinrich revient d’Allemagne où il a fait ses études de médecine.

Il annonce pendant le dîner donné par son grand-père en l’honneur de son retour qu’il est cadre au sein du parti nazi.

Sous le choc, son grand-père meurt et la famille revient en Europe, la famille de Louisa en France, celle d’Helena en Allemagne.

L’année suivante, la guerre éclate.

« En 1938, de sombres nuages planaient une fois de plus sur le monde.

Tous craignaient la guerre et priaient pour la paix.

Mais il y avait encore des endroits intacts et des hommes placides. Ainsi était l’Argentine et Madariaga l’Ancien.»

Ce préliminaire conclut le générique du début du film : dans la version précédente des Quatre cavaliers de l’apocalypse, la version réalisée en 1920 par Rex Ingram, il y avait le même prologue écrit qui opposait de manière plus tranché sur l’opposition entre un paradis latino-américain face à un enfer européen.

C’est la même idée qui préside aux premières séquences de cette nouvelle version avec cette pampa qui n’est que « jeux et ris » jusqu’au retour dans la somptueuse maison de « l’Ancien ».

Et là, le vieil homme nous sert un discours lourdingue et pseudo-biblique où sont convoqués les « fameux » cavaliers de l’apocalypse qu’il nous ressert beaucoup, un peu trop peut-être.

Le plus pénible est que tout cela est surjoué par un des pires cabots qu’on ait connus à Hollywood, Lee J. Cobb. Il commence par citer la bible avec des trémolos dans la voix dans une scène totalement grotesque.

Puis, vient la scène du dîner qui va se terminer par la déchirure de la famille lorsqu’Heinrich fait son « coming out » nazi ce qui va entrainer la mort de « l’Ancien » qui entame une démarche « sautillante de la détresse » avant de s’effondrer. Et c’est là que se conclut très brillamment cette introduction à la symbolique un peu lourde par une série de plans magnifiques rouge et or, représentant d’abord un par un puis tous les quatre ensemble les « héros éponymes », ces fameux quatre cavaliers, la Conquête, la Guerre, la Pestilence et la Mort.

Vincente Minnelli, c’est (ou c’était) « le nouveau dieu de la comédie musicale, le champion de la thématique de couleurs »[1]. Et c’est en parfait maître de la couleur qu’il filme « cette tragédie du rouge », couleur dominante du film, couleur de la passion (les robes de Marguerite, les murs de l’appartement de Julio, les banquettes de la calèche dans laquelle se promènent les amoureux dans un Paris nocturne d’avant occupation). Mais le rouge est aussi la couleur du danger, du mal… du nazisme : « J’utiliserai de nouveau le rouge comme couleur dominante, se déversant littéralement sur les documents d’actualité, révélateurs de l’atrocité de la guerre et de l’insensibilité des personnages qui traversent cette période de conflit sans s’en soucier particulièrement. »[2]

Vicente Blasco Ibañez fit paraître son roman en Espagne en 1916 alors que la guerre sévissait encore dans le reste de l’Europe. Et bien que son pays soit resté neutre dans le conflit, Ibañez est très nettement antigermanique, comme le sera le film de Rex Ingram, tourné deux ans après la fin de la guerre aux États-Unis, un pays s’étant engagé auprès de la France contre une Allemagne déjà nationaliste (pangermaniste).

Bien entendu, le film de Minnelli, tourné en 1960, en pleine guerre froide où l’ennemi n’est plus l’Allemagne, ni celle du Kaiser, ni celle d’Hitler, mais l’Union Soviétique alors que l’Allemagne (du moins la République Fédérale d’Allemagne) est celle dûment dénazifiée de la réconciliation et du chancelier Adenauer.

Le film de Rex Ingram n’est pas la première adaptation du roman : en 1916, Léonce Perret, André Heuzé et Henri Poctal adaptent le roman d’Ibañez sous le titre Debout les morts sur un scénario d’Henri Diamant-Berger. C’est ce film que vit June Mathis qui la décida d’acquérir les droits du roman pour la Métro. Elle le soumis alors à Rex Ingram

Autant Rex Ingram s’est immédiatement emballé par le projet, autant Vincente Minnelli a été beaucoup plus sceptique sur un script qu’on lui impose ainsi. La transposition de l’histoire de la première à la seconde guerre mondiale ne lui convient pas du tout : « Je me retrouvai ainsi engagé à tourner une histoire qui ne me plaisait pas - ainsi remodelée – avec un acteur qui ne me semblait pas convenir au rôle. »[3].

En fait, Minnelli avait déjeuné, à Rome, avec un acteur français dont, selon lui : « le physique aurait pu évoquer celui de Valentino »[4] Mais la M.G.M. refusa d’engager un inconnu. C’était Alain Delon. Minnelli n’aura son mot à dire ni pour l’acteur principal, ni pour le scénario. Deux ans plus tard, il retrouvera Glenn Ford pour The Courtship of Eddie’s Father (Il faut marier papa).

Alors que la première nuit d’amour entre Julio et Marguerite a lieu lors d’un bombardement, le film évoque brièvement l’exode, puis l’entrée des Allemands à Paris avec le passage à l’Arc-de-Triomphe près de la tombe du soldat inconnu.

Autre signe de l’époque gaulliste du tournage, les propos de Chi-chi, la jeune sœur de Julio, ont des accents « gaulliens ». Et dans le Paris mondain tel qu’on le voit ici, il n’y a que des nazis, des femmes (qu’on imagine professionnelles) ou des « neutres » tel que Julio, toujours argentin : La France de Vichy de Paxton et Le Chagrin et la pitié d’Ophuls n’était alors ni paru, ni tourné !

Pour le reste, nous sommes dans le même Paris hollywoodiens de carte postale qu’on voyait déjà dans Un Américain à Paris et dans Gigi, à des époques différentes.

Quelques années avant d’endosser les somptueuses robes de la vénéneuse nazie Sophie Von Essenbeck dans Les Damnés, la somptueuse et bergmanienne Ingrid Thulin est la douce et antinazie Marguerite Laurier, mariée à Paul Heinreid, également antinazi et résistant comme il l’avait été dix-neuf ans auparavant, déjà mari bafoué, d’une autre Ingrid, moins bergmanienne, mais authentiquement Bergman dans Casablanca, un « grand classique » dont l’histoire n’est pas sans rappelée, sous certains aspects, le film de Minnelli.

J’ai déjà dit tout le mal que je pensais de Lee J. Cobb, je ne m’étendrai donc pas. Le reste de la distribution est superbe : Charles Boyer (Marcelo) et Yvette Mimieux (Chi-chi), pour la partie française de la famille, Paul Lukas (Otto) et Karlheinz Boehm (Heinrich) pour la partie allemande.

Je laisserai Minnelli conclure lui-même : « Aujourd’hui, les étudiants de cinéma pensent que Les Quatre cavaliers de l’apocalypse ont influencé ces trois films extraordinaires que sont Les Damnés de Luchino Visconti, Le Conformiste de Bernardo Bertolucci et Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio de Sica. Je suis très flatté de cette prestigieuse filiation ! »

C’est très immodeste, mais puisque c’est vrai… !



[1] In Anthologie du cinéma : Judy Garland par Noël Simsolo (Tome 6 – p. 356)

[2] In I remember it well (Tous en scene) autobiographie de Vincente Minnelli (p.338 – 1974 – Trad André-Charles Cohen – 1981 – J.C. Lattès)

[3] Ibid p.338

[4] Ibid p.337

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